Suite de l’article : http://stopmensonges.com/dangers-de-laspartame/
L’influence du financement de la recherche par l’industrie : le « funding effect »
« L’article que nous venons de publier montre une augmentation de l’incidence des tumeurs du cerveau ainsi qu’une gravité accrue des tumeurs cérébrales dans la population américaine qui ont commencé trois ans après la mise sur le marché de l’aspartame17 . » C’était le 18 novembre 1996, lors d’une conférence de presse, organisée à Washington. Y participaient Ralph Walton, l’avocat James Turner, le sénateur Howard Metzenbaum et John Olney. Ce dernier avait épluché les données de l’Institut national du cancer concernant les tumeurs cérébrales recensées de 1970 à 1992 dans treize zones géographiques des États-Unis, qui couvraient 10 % de la population américaine. « Nos résultats montrent une première hausse ponctuelle de l’incidence au milieu des années 1970, qui peut s’expliquer par l’amélioration des techniques de diagnostic, avait commenté le neurologue, puis, une deuxième hausse très nette de 10 % en 1984, qui s’est maintenue jusqu’en 1992. » Et de conclure : « Cette étude ne permet pas d’établir si l’aspartame cause ou non des tumeurs du cerveau, mais il est urgent de répondre à cette question avec de nouvelles études expérimentales bien conçues. »
La publication de John Olney avait provoqué beaucoup de remous médiatiques, au point que le célèbre magazine télévisé « 60 minutes » décida de consacrer une édition spéciale à l’aspartame. Désemparés face à la masse d’études concernant l’édulcorant, les producteurs de CBS avaient demandé à Ralph Walton de conduire une revue systématique de celles qui avaient été publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. Une première recherche sur différentes banques de données, dont MedLine, donna 527 références, dont le psychiatre ne garda que celles qui étaient « clairement liées à la sécurité du produit pour les humains ».
D’abord, me dit Ralph Walton, il faut noter que les trois études fondamentales de Searle, qui ont servi à calculer la DJA de l’aspartame, n’ont jamais été publiées ! Par ailleurs, sur les 166 études que mon équipe a finalement sélectionnées, 74 avaient été financées par l’industrie (Searle, Ajinomoto ou l’ILSI) et 92 par des organismes de recherche indépendants (des universités ou la FDA). 100 % des études financées par l’industrie concluaient que l’aspartame était sans danger. Sur les 74, plusieurs avaient été publiées plusieurs fois dans différents journaux, sous différents noms, mais c’était la même étude. Sur les 92 études indépendantes, 85 concluaient que l’édulcorant posait un ou plusieurs problèmes sanitaires. Les sept dernières avaient été conduites par la FDA et arrivaient aux mêmes conclusions que celles financées par l’industrie.
– Comment expliquez-vous cet incroyable résultat ?, demandai-je.
– Ah ! Vous savez l’argent est très puissant…
Le phénomène que Ralph Walton a constaté d’une manière flagrante a été qualifié de « funding effect » (que l’on pourrait traduire par « effet financement »). David Michaels décrit ainsi ce mécanisme fort inquiétant : « Quand un scientifique est recruté par une firme qui a un intérêt financier dans les résultats de l’étude qu’elle soutient, la probabilité que les résultats de l’étude soient favorables à la firme augmente considérablement. » Et le nouveau patron de l’OSHA de préciser : « Le fait qu’il y ait un enjeu financier lié aux résultats change la manière dont même les scientifiques les plus respectés approchent leur recherche et interprètent les résultats des expériences18. »
Le funding effect a été découvert par Paula Rochon, une gériatre de Boston, alors qu’elle comparait les tests cliniques de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme l’aspirine, le naproxène ou l’ibuprofène (Advil), utilisés pour traiter l’arthrite. Elle montra que les tests payés par l’industrie présentaient toujours des conclusions favorables, même si un examen attentif des données ne le confirmait pas19. Quatre ans plus tard, l’équipe du Canadien Henry Thomas Stelfox (université de Toronto) faisait le même constat pour les antagonistes du calcium, des médicaments prescrits pour soigner l’hypertension et suspectés de provoquer des infarctus. Les chercheurs ont examiné les articles publiés entre mars 1995 et septembre 1996 et classé leurs auteurs en trois catégories caractérisant leur position par rapport aux molécules : « favorable », « neutre » et « critique ». Résultat : 96 % des scientifiques « favorables » avaient un lien financier avec les fabricants d’antagonistes du calcium, contre 60 % des auteurs « neutres » et 37 % des critiques20 . Depuis, le phénomène a aussi été détecté pour les anticontraceptifs oraux, les médicaments pour le traitement de la schizophrénie, de la maladie d’Alzheimer ou du cancer21 .
J’ai épluché attentivement la liste des soixante-quatorze études financées par les fabricants d’aspartame que Ralph Walton a établie, et l’une d’entre elles a attiré mon attention, car elle illustre bien le phénomène des « boîtes noires » que décrit Bruno Latour dans son livre La Science en action. En effet, pour qu’un énoncé scientifique devienne un fait établi, dont plus personne n’est en mesure de reconstituer la genèse, il faut que celui-ci soit largement cité dans de multiples articles scientifiques. « Un énoncé a valeur de fait ou de fiction non par lui-même, mais seulement parce que les autres énoncés font de lui plus tard, explique le philosophe. Pour survivre, ou pour acquérir le statut de fait, un énoncé a besoin de la génération suivante d’articles22 . » Voilà pourquoi Searle et consorts ont fait publier plusieurs dizaines d’« études », qui n’ont jamais traité les questions essentielles, mais dont le but était d’occuper le terrain de la littérature scientifique : une étude publiée est une étude qui peut être citée et donc contribuer à transformer une « fiction » en « fait » et c’est encore plus efficace si on parvient parallèlement à bloquer la production d’études indépendantes sur les questions essentielles justement, une tâche dont l’ILSI s’est parfaitement acquitté.
Nous avons vu dans quelles conditions douteuses la DJA de l’aspartame avait été fixée en 1981. Dix ans plus tard, Searle demande à deux de ses scientifiques, Harriett Butchko et Krank Kotsonis, de publier un article sur le concept de la DJA, « en prenant comme exemple l’aspartame, un additif alimentaire largement utilisé », ainsi que le dit le préambule23 . C’est astucieux, car cela permet de poser d’emblée comme une « boîte noire » la DJA de l’aspartame, alors que quatre ans après l’audience sénatoriale, celle-ci est loin de faire l’unanimité : « L’OMS et les autorités réglementaires d’Europe et du Canada ont fixé une DJA de 40 mg/kg et la FDA de 50 mg/kg », écrivent ainsi les auteurs, qui truffent ensuite leur papier de multiples références (cinquante), principalement aux études financées par Searle (mais la source du financement n’est pas précisée), dont celles conduites par Jack Filer (neuf références), qui, on l’a vu, deviendra le directeur de l’ILSI ! Qui va vérifier que ces études, dont les auteurs prétendent qu’elles ont servi à fixer la DJA, sont toutes postérieures à 1979 ? Ou qu’une étude de l’incontournable Filer, censée confirmer l’innocuité de l’aspartame a duré… six heures, pendant lesquelles huit « adultes normaux » (quatre hommes et quatre femmes) ont ingéré 10 mg d’aspartame toutes les deux heures24 ?
« Le problème, a commenté Ralph Walton, c’est que toutes ces études de faible qualité, voire biaisées, sont publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. On attend toujours la “réforme radicale” que Richard Smith a appelée de ses vœux. » Directeur du prestigieux British Journal of Medicine, l’homme avait fait sensation en avouant publiquement les limites et faiblesses du système du peer review (voir supra, chapitre 9), pourtant considéré comme le must en matière de publication scientifique. « Nous savons qu’il est coûteux, lent, enclin aux biais, ouvert aux abus, voire défavorable à la véritable innovation et incapable de détecter la fraude, écrivait-il. Nous savons aussi que les articles publiés qui émergent du processus sont souvent grossièrement déficients25 . »
Dans cet éditorial, qui fit grincer bien des dents (industrielles), Richard Smith racontait l’expérience menée par Fioda Godlee et deux collègues du journal : ils avaient pris une étude qui allait être publiée, dans laquelle ils avaient inséré volontairement huit erreurs. Puis ils avaient envoyé le texte à 420 relecteurs potentiels, dont 221 (53 %) ont répondu : le nombre moyen d’erreurs relevées était de deux, pas un seul relecteur n’a relevé plus de cinq erreurs et 16 % n’y ont vu que du feu…
L’Institut Ramazzini, « maison de ceux qui ont consacré leur vie à la recherche de la vérité »
« Cela fait vingt ans que je bataille pour que le National Toxicology Program (NTP) conduise une étude sur l’aspartame, m’a expliqué en 2009 James Huff, le directeur adjoint du département de la cancérogenèse chimique au National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS), qui dirigea le programme des monographies du CIRC [voir supra, chapitre 10]. Malheureusement, la FDA s’y est toujours opposée, en faisant jouer son droit de veto26 .
– Comment l’expliquez-vous ?
– Je pense que l’agence craignait que nous prouvions que l’édulcorant est cancérigène27 », m’a répondu le scientifique en me renvoyant à un article de novembre 1996, qui faisait suite à la publication de l’étude de John Olney sur l’augmentation des tumeurs cérébrales. Y témoignait James Huff, ainsi que David Rall, l’ancien directeur du NIEHS, qui supervisa le NTP pendant dix-neuf ans (jusqu’à son départ à la retraite en 1990) : « C’est une manière efficace d’assurer que l’aspartame ne sera pas testé, déclarait ce dernier. On empêche les chercheurs de le tester, puis on dit qu’il est sûr28 . »
« J’ai lu, pourtant, que le NTP avait publié les résultats d’une étude sur l’aspartame en 200529 , ai-je poursuivi.
– C’est vrai, a reconnu James Huff, mais j’étais opposé à cette étude ainsi que plusieurs collègues du NIEHS. Elle a été menée sur des souris transgéniques à qui on a inséré un gène qui les rend plus susceptibles au cancer. C’est un nouveau modèle expérimental qui ne présente aucun intérêt pour les produits chimiques non génotoxiques. Or, l’aspartame n’est pas génotoxique, c’est-à-dire qu’il ne produit pas de mutations30 . Le résultat de cette étude, qui a coûté beaucoup d’argent pour rien, fut bien sûr négatif et elle a fait le bonheur de l’industrie31 … J’étais écœuré, c’est pourquoi j’ai participé activement à la conception des études conduites par l’Institut Ramazzini qui, elles, ont confirmé les pouvoirs cancérigènes de l’aspartame. Ce sont pour moi les meilleures études jamais réalisées sur cette substance. »
Créé en 1987, en hommage au « père de la médecine du travail » (voir supra, chapitre 7), l’Institut Ramazzini est l’œuvre du cancérologue italien Cesare Maltoni, dont les travaux sur le chlorure de vinyle avaient semé la panique chez les fabricants de plastique européens et américains (voir supra, chapitre 11). Installé dans le magnifique château renaissance de Bentivoglio, à une trentaine de kilomètres de Bologne, le centre de cancérologie environnementale définit ses programmes de recherche en collaboration avec le Collège Ramazzini, qui compte cent quatre-vingts scientifiques issus de trente-deux pays. Parmi eux, quelques-uns des scientifiques que nous avons croisés dans ce livre, comme James Huff, Devra Davis, Peter Infante, Vincent Cogliano, Aaron Blair ou Lennart Hardell, Une fois par an, cette assemblée exceptionnelle se réunit à Carpi, le « lieu de naissance du maître » Bernardo Ramazzini. Dans un article publié en 2000, qui constitue une véritable profession de foi, mais aussi son testament, Cesare Maltoni (décédé en 2001) a décrit ce qui fait l’originalité de ce collège académique à nul autre pareil. « Notre époque est caractérisée par l’énorme expansion et la suprématie de l’industrie et du commerce, au détriment de la culture (dont fait partie la science) et de l’humanisme, écrit-il. L’objectif premier et bien souvent unique de l’industrie et du commerce est le profit. La stratégie de l’industrie et du commerce pour atteindre leurs objectifs – dussent-ils entrer en conflit avec la culture et l’humanisme – a été marquée par la création d’une culture alternative pseudoscientifique, dont le but principal est de polluer délibérément la vérité, en opposant la culture et la science et en étouffant la voix des humanistes32 . » C’est pourquoi, poursuit Cesare Maltoni, la raison d’être33 du Collège Ramazzini, c’est d’« être la maison de ceux qui ont consacré leur vie à la recherche de la vérité et d’être solidaire avec ceux qui sont attaqués et humiliés parce qu’ils poursuivent la vérité ».
Depuis sa création, l’Institut a testé quelque deux cents polluants chimiques, comme le benzène, le chlorure de vinyle, le formaldéhyde et de nombreux pesticides. Ses études ont souvent contribué à une baisse des normes d’exposition en vigueur, car leurs résultats sont inattaquables. D’abord, contrairement à la grande majorité des études industrielles, celles de l’Institut sont conduites sur des méga-cohortes, comprenant plusieurs milliers de cobayes, ce qui bien sûr renforce leur pouvoir statistique34 . Lors de ma visite, le 2 février 2010, j’avais été impressionnée par l’étendue du laboratoire, qui couvre 10 000 mètres carrés. D’énormes installations circulaires abritaient alors 9 000 rats soumis à différents niveaux d’ondes électromagnétiques pour une expérience que le docteur Morando Soffritti, qui a succédé à Cesare Maltoni, m’avait présentée comme « top secret », avec un large sourire entendu. « La deuxième caractéristique de notre Institut, m’avait-il expliqué, c’est que, contrairement aux recommandations du guide des “bonnes pratiques de laboratoire”, nos études expérimentales ne durent pas deux ans, mais nous laissons vivre nos animaux jusqu’à leur mort naturelle. En effet, 80 % des tumeurs malignes détectées chez les humains le sont après l’âge de 60-65 ans. Il est donc aberrant de sacrifier les animaux expérimentaux à la cent quatrième semaine, ce qui, rapporté à l’espèce humaine, correspond à l’âge de la retraite où la fréquence d’apparition des cancers ou des maladies neurodégénératives est la plus élevée35 . »
« C’est la principale force des études de l’Institut Ramazzini, m’a confirmé James Huff. Quand on interrompt arbitrairement une étude au bout de deux ans, on risque de passer à côté des effets cancérigènes d’une substance. Et plusieurs exemples le prouvent. Le cadmium est un métal largement utilisé, notamment pour la fabrication de PVC ou d’engrais chimiques, qui a été classé dans le groupe 1 (« cancérigène pour les humains ») par le CIRC. Pourtant, les études expérimentales de deux ans ne montraient aucun effet. Jusqu’au jour où un chercheur a décidé de laisser mourir les rats naturellement : il a constaté que 75 % développaient un cancer du poumon dans le dernier quart de leur vie. De même, le NTP a étudié le toluène et n’a trouvé aucun effet au bout de vingt-quatre mois. En revanche, l’Institut Ramazzini a vu plusieurs cancers apparaître à partir du vingt-huitième mois. Le protocole des études de l’Institut Ramazzini devrait être repris par tous les chercheurs, car l’enjeu est important : on se glorifie toujours de l’allongement de l’espérance de vie, mais à quoi bon vivre dix ou quinze ans plus vieux, si c’est pour vivre sa retraite, accablé par toutes sortes de maladies qui seraient évitables si on contrôlait mieux l’exposition aux produits chimiques ? C’est pourquoi les deux études de l’Institut Ramazzini sur l’aspartame sont très inquiétantes… »
« L’aspartame est un agent cancérigène multisite puissant »
Plus inquiétant encore est le rejet de ces deux études par l’EFSA et la FDA et, dans la foulée, par toutes les agences réglementaires nationales (dont, bien sûr, l’ANSES française). Et je dois dire que j’ai beau tourner leurs arguments dans tous les sens, ils ne parviennent pas à me convaincre…
Publiée en 2006, la première étude portait sur 1 800 rats, qui ont ingéré des doses journalières d’aspartame comprises entre 20 mg/kg et 100 mg/kg, depuis l’âge de huit semaines jusqu’à leur mort naturelle. Résultat : une augmentation significative, corrélée à la dose, des lymphomes, leucémies et tumeurs rénales chez les femelles, et des schwannomes (tumeurs des nerfs crâniens) chez les mâles. « Si nous avions tronqué l’expérience en l’arrêtant à deux ans, nous n’aurions sans doute pas pu montrer le potentiel cancérigène de l’aspartame, écrivent les auteurs dans leur publication. Les résultats de cette méga-étude indiquent que l’aspartame est un agent cancérigène multisite puissant, y compris à la dose journalière de 20 mg/kg, qui est bien inférieure à la DJA36 . »
Curieusement, alors qu’elle se contente en général fort bien des résumés de données que lui envoient les fabricants, la FDA a, dans ce cas précis, beaucoup insisté pour obtenir l’ensemble des données brutes de l’étude. C’est en tout cas l’argument officiel qu’elle n’a cessé de brandir, à l’instar de David Hattan qui me l’a resservi sans sourciller : « Nous n’avons pu examiner qu’une petite partie des données brutes, m’a-t-il expliqué avec une moue navrée, et il nous a semblé que les changements observés étaient sporadiques et somme toute habituels dans ce genre d’expérimentation. Malheureusement, nous n’avons pas pu obtenir toutes les données, car l’Institut Ramazzini nous a dit que le règlement interne lui interdisait de les partager avec des tierces parties. »
« Pourquoi avez-vous refusé de communiquer les données brutes de l’étude ?, ai-je demandé à Morando Soffritti, le directeur scientifique de l’Institut Ramazzini.
– Je suis surpris que la FDA ait pu vous dire cela, m’a-t-il répondu, avec son indéfectible sourire en coin. Nous sommes entrés en contact avec la FDA dès 2005 et nous lui avons envoyé toutes les données en notre possession. »
Dans l’avis qu’elle a publié, le 20 avril 2007, l’agence américaine affirme, en tout cas, que « les données de l’étude ne permettent pas de conclure que l’aspartame est cancérigène37». Un an plus tôt, l’EFSA avait rendu un avis similaire, après une longue introduction où elle ne manquait pas de s’appuyer sur la « boîte noire » si laborieusement construite : « L’aspartame a notamment été l’objet de quatre études de cancérogénicité conduites sur des animaux pendant les années 1970 et au tout début des années 1980. Ces études, avec d’autres sur la génotoxicité, ont été évaluées par les agences réglementaires du monde et toutes ont conclu que l’aspartame n’avait pas de potentiel génotoxique ou cancérigène38 . » Puis, l’Autorité européenne en vient à l’étude de l’Institut Ramazzini, qui comprend des « déficiences remettant en question la validité des résultats. […] L’explication la plus plausible des résultats de l’étude concernant les lymphomes et leucémies, c’est que ceux-ci sont dus à une maladie respiratoire chronique dont souffrait la colonie. […] En résumé, il n’y a pas de raisons de revoir la DJA de 40 mg/kg établie précédemment. »
« Pourquoi avez-vous rejeté cette étude ?, ai-je insisté auprès d’Hugues Kenigswald, le chef de l’Unité des additifs alimentaires de l’EFSA (que nous avons déjà rencontré au cours du chapitre 14).
– Alors, d’abord que ce soit bien clair : cette étude n’a absolument pas été rejetée, au contraire, elle a été étudiée (sic) avec le plus grand soin. Par contre, ce qui est très clair, c’est qu’il y a un certain nombre, pour ne pas dire un nombre certain, d’insuffisances méthodologiques qui ont été relevées dans cette étude…
– Par exemple ?
– En particulier, le fait que certains rats présentaient des pathologies respiratoires…
– Quel est le rapport entre le fait d’avoir une maladie respiratoire et un lymphome ou une leucémie ?
– La maladie respiratoire fait que ça provoque… est à l’origine de tumeurs et peut donc complètement brouiller les pistes ; c’est exactement ce qui s’est passé dans cette étude. »
L’argument de l’EFSA a (de nouveau) fait sourire Morando Soffritti qui, bien calé dans son fauteuil, a répliqué : « Nous ne sommes pas d’accord, pour une série de raisons. Premièrement, parce que les processus inflammatoires que nous observons dans nos animaux dépendent très souvent du fait que nous les laissons mourir naturellement sans interrompre leur vie de façon arbitraire. Et comme il arrive pour l’homme, dans la dernière phase de la vie, les complications pulmonaires et rénales sont très courantes. De plus, il n’a jamais été démontré que les infections pulmonaires ou rénales, qui apparaissent en fin de vie, soient capables de produire des tumeurs en si peu de temps.
– Est-ce que les rats du groupe contrôle avaient le même problème inflammatoire ?
– Bien sûr, nous l’avons observé à la fois dans les groupes traités et dans le groupe contrôle. La seule différence entre les deux groupes était que les groupes expérimentaux avaient ingéré de l’aspartame et que le groupe contrôle n’en avait pas ingéré. »
En 2007, l’équipe du docteur Soffritti a publié une seconde étude, encore plus inquiétante que la première. Cette fois-ci, quatre cents rates en gestation ont été exposées à des doses journalières d’aspartame de 20 mg/kg et de 100 mg/kg et leurs descendants ont été suivis jusqu’à leur mort. « Nous avons constaté que quand l’exposition commence pendant la vie fœtale, le risque d’avoir les tumeurs observées lors de la première étude augmente de manière très significative, a commenté Morando Soffritti. S’y ajoute l’apparition de tumeurs mammaires chez les descendantes femelles. Nous estimons que ces résultats devraient conduire les agences réglementaires à agir au plus vite, car les femmes enceintes et les enfants sont les plus grands consommateurs d’aspartame. » Dans leur publication, Morando Soffritti et ses collègues soulignent que, « à leur demande, nous avons fourni aux agences réglementaires toutes les données brutes de l’étude39 ».
Pourtant, David Hattan m’a soutenu le contraire : « Nous n’avons pas examiné la seconde étude de l’Institut Ramazzini, car malheureusement nous n’avons pas pu trouver un accord pour obtenir les données brutes », a affirmé le toxicologue de la FDA.
« Ce n’est pas vrai, a rétorqué le docteur Morando Soffritti., depuis son laboratoire de Bentivoglio.
– Vous prétendez que David Hattan ment ?, ai-je insisté.
– On peut dire qu’il ment. »
Dans l’avis qu’elle a rendu le 19 mars 2009, l’EFSA souligne aussi que « les données brutes de l’étude n’ont pas été fournies par les auteurs », ce que dément avec vigueur le directeur de l’Institut Ramazzini. Puis, l’Autorité européenne écarte de nouveau les leucémies et lymphomes constatés, qu’elle s’entête à considérer comme « caractéristiques d’une maladie respiratoire chronique » (décidément !), avant de se lancer dans une explication qui a carrément fait bondir les Américains James Huff et Peter Infante tant elle leur semblait « scabreuse et peu scientifique » : « L’augmentation de l’incidence des carcinomes mammaires n’est pas considérée comme étant indicative d’un potentiel cancérogène de l’aspartame, car l’incidence des tumeurs mammaires chez les rats femelles est relativement élevée et varie considérablement d’une étude de carcinogénicité à l’autre, écrivent les experts de l’EFSA. Le groupe scientifique a constaté qu’aucune augmentation de l’incidence des carcinomes mammaires n’a été signalée dans la précédente étude menée sur l’aspartame, dans laquelle des doses du produit beaucoup plus élevées ont été utilisées40 . »
« C’est incroyable que des experts puissent écrire cela, s’est étonné James Huff. On dirait qu’ils n’ont pas compris que l’originalité de l’étude, c’est de commencer l’exposition in utero. Ce qui est inquiétant, c’est précisément que les descendantes ont développé des tumeurs mammaires que les rates adultes n’avaient pas développées dans la première étude. On observe exactement le même phénomène avec les perturbateurs endocriniens : ce sont les filles exposées pendant la vie fœtale qui ont des cancers mammaires, mais pas leurs mères ! »
De fait, l’argument de l’EFSA a de quoi surprendre, mais c’est pourtant le seul qu’a évoqué Hugues Kenigswald pour justifier la décision d’ignorer les résultats de l’étude italienne : « Les tumeurs mammaires qui sont décrites dans la deuxième étude n’apparaissaient pas dans la première étude, m’a-t-il expliqué, en jetant des regards vers les deux fonctionnaires européens assis dans mon dos. Donc, les résultats des deux études sont incohérents. »
« Comment expliquez-vous cet argument de l’EFSA ? », ai-je demandé à Morando Soffritti, qui, manifestement, a cherché ses mots avant de me répondre : « Les évaluations faites par les experts des différentes agences sont souvent hâtives et pas toujours réfléchies, a-t-il lâché. S’ils avaient pris le temps de mesurer ce que peut impliquer une exposition commencée pendant la vie fœtale, peut-être n’auraient-ils pas émis un jugement aussi trivial d’un point de vue scientifique… » En attendant, la décision européenne a fait le bonheur de l’Association internationale des édulcorants (ISA) qui, dans un communiqué d’avril 2009, s’est « félicitée de l’avis scientifique publié par l’EFSA qui reconfirme le précédent avis publié en mai 2006 sur la sécurité et l’innocuité de l’édulcorant aspartame, rejetant les affirmations de l’institut Ramazzini, en Italie, selon lesquelles l’aspartame serait dangereux pour la santé. Ces conclusions de l’EFSA sont entièrement compatibles avec le consensus scientifique mondial, etc.41 ».
Conflits d’intérêts et boîte de Pandore
Je l’ai déjà dit et je le répète : les arguments avancés par l’EFSA et la FDA ne sont absolument pas convaincants. Comment comprendre que ces agences décident d’ignorer deux études conduites par un institut considéré comme un poids lourd dans le domaine de la cancérologie environnementale, alors qu’elles continuent de défendre bec et ongles la DJA de l’aspartame, fondée sur des études qui, pour le moins, présentent les pires « insuffisances méthodologiques », pour reprendre les termes d’Hugues Kenigswald ? Intriguée, j’ai décidé de savoir qui étaient les vingt et un experts qui constituent le « groupe ANS » de l’EFSA, le « groupe scientifique sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments ajoutés aux aliments ».
Depuis 2002, les experts de l’Autorité européenne, qui à la différence de ceux du JMPR ou du JECFA sont permanents, sont tenus de déclarer leurs conflits d’intérêts et les déclarations sont consultables sur le site de l’EFSA. J’ai ainsi découvert que John Christian Larsen, le président du groupe, travaille pour… l’ILSI ! Même chose pour John Gilbert et Ivonne Rietjens, qui a aussi des liens financiers avec la FEMA (Flavor and Extract Manufacturers Association). Quant à Jürgen König, il a des contrats avec Danone, grand utilisateur d’aspartame. Mais la « palme », si j’ose dire, revient à Dominique Parent-Massin, qui est membre du comité scientifique d’Ajinomoto, le géant japonais de l’aspartame, et de Coca-Cola, un utilisateur historique de l’édulcorant et membre fondateur de l’ILSI ! Directrice du Laboratoire de toxicologie alimentaire de l’université de Brest, l’experte a même présidé le groupe additifs alimentaires de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa, rebaptisée Anses en 2010) ! Avec France Bellisle, une chercheuse de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui siège au comité scientifique du Conseil européen de l’information sur l’alimentation (EUFIC), financé par les géants de l’agroalimentaire, et Bernard Guy-Grand, professeur de nutrition à l’Hôtel-Dieu, qui fut président du comité scientifique d’Ajinomoto, Dominique Parent-Massin fait partie de la dream team française du fabricant japonais, même si elle se garde bien de le dire quand elle intervient sous l’étiquette « autorités sanitaires » dans les congrès pour défendre l’innocuité de l’aspartame42 . Ainsi, lors des Entretiens de Bichat de 2006, elle a répété la bonne vieille antienne : « L’aspartame est l’un des additifs les plus étudiés au monde43 . »
J’ai évidemment interrogé Catherine Geslain-Lanéelle, la directrice exécutive de l’EFSA, sur les conflits d’intérêts patents qui caractérisent certains membres du « groupe ANS », avec en tête Dominique Parent-Massin. Pour être franche, j’avais quelque curiosité à rencontrer cette ancienne haute fonctionnaire très zélée de la Direction générale de l’alimentation, qui, on l’a vu dans le chapitre 6, avait refusé de communiquer le dossier d’autorisation de mise sur le marché du Gaucho au juge Louis Ripoll, alors qu’il perquisitionnait au siège de la DGAL, dans le cadre d’une instruction sur la toxicité de l’insecticide pour les abeilles. D’apparence très cordiale, la directrice exécutive m’a d’abord expliqué que l’EFSA avait commencé en 2008 la « réévaluation des colorants » et décidé récemment d’interdire un « colorant utilisé depuis trente ans en Europe dans les produits de petit-déjeuner et des saucisses consommées en Grande-Bretagne et en Irlande ». « Un examen des études a montré qu’il était génotoxique, m’a-t-elle précisé, donc nous l’avons retiré du marché, comme nous l’avions fait précédemment pour certains arômes de synthèse.
– C’est certes une bonne nouvelle, dis-je. Concernant l’aspartame, je suis surprise de voir qu’une personne comme Dominique Parent-Massin, dont les liens avec le principal fabricant d’aspartame sont avérés, siège dans le groupe sur les additifs alimentaires…
– Cela veut dire que, quand nous faisons l’évaluation de l’aspartame, cette experte ne peut pas être rapporteur, ne peut pas préparer l’avis du groupe et ne peut pas participer aux délibérations sur ce sujet, parce qu’elle a un conflit d’intérêts.
– Par exemple, dans le cas de l’avis qui a été rendu sur l’aspartame en mars 2009, Dominique Parent-Massin n’a pas participé ?
– Non… C’est important de comprendre qu’aujourd’hui la recherche publique est souvent associée à la recherche privée et, donc, qu’il est impossible de trouver des experts qui n’ont jamais eu de contact avec l’industrie, je pense que cela n’existe plus, a reconnu Catherine Geslain-Lanéelle. C’est pourquoi nous avons établi une règle qui veut que les scientifiques ayant travaillé ou travaillant directement pour le fabricant du produit évalué sont disqualifiés pour participer aux travaux d’évaluation, et c’est ce qui s’est passé avec Dominique Parent-Massin44 . »
La transparence, en tout cas, a ses limites. La déclaration de conflits d’intérêts de Dominique Parent-Massin que j’avais trouvée sur le site de l’EFSA avant ma visite à Parme a disparu quelques jours plus tard ! Elle a été remplacée par une nouvelle, où l’experte ne dit plus un mot sur ses liens avec Ajinomoto et Coca-Cola… L’anecdote a fait (encore) sourire Morando Soffritti, qui en avait aussi une à me raconter : « Un haut dirigeant de EFSA m’a dit un jour : “Docteur Soffritti, si nous admettions que les résultats de vos études sont valides, nous devrions interdire l’aspartame dès demain matin. Vous vous rendez bien compte que cela n’est pas possible”… »
Tout indique, en effet, que par-delà les enjeux économiques, l’aspartame est devenu une forteresse inexpugnable, ainsi que le souligne Erik Millstone, l’indéfectible poil à gratter des agences réglementaires : « Si elles admettent qu’elles ont fait une erreur, cela entraînera une perte de confiance. Et puis, elles craignent sans doute que cela ouvre les vannes, m’a-t-il expliqué avec un ton franchement accusateur. Il y a des gens qui risquent de dire : peut-être n’avez-vous pas fait une seule, mais plusieurs erreurs ; et peut-être que tout le processus est défectueux ! L’aspartame est une boîte de Pandore : si elle s’ouvre, c’est tout le système qui risque d’exploser. C’est aussi vrai pour le bisphénol A, un autre produit symbolique de l’inefficacité de la réglementation telle qu’elle fonctionne depuis un demi-siècle »…
>> Cet extrait n’est pas en Creative Commons
>> Illustrations CC pour Elsa Secco et FlickR Phranet, same_same, niallkennedy
Source : http://owni.fr/2011/03/15/les-dangers-de-l%E2%80%99aspartame-et-le-silence-des-autorites-publiques/
Cela a tout de même un GRAND MÉRITE !! C’est que les éveillés, au moins cela, sont au courant et ne consommeront pas ces produit de M…de ! Ils protégeront aussi leur famille, déconseilleront à leur amis, partageront ces infos !! La guerre se gagne par de petites escarmouches, tous… Lire la suite »
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Jais aucune confiance avec l’alimentation vendu en magasin , tout ses truc chimiques ajoutez sert a rien .Dans ma tête cela résonne comme gâteaux = poisons . Jais plus confiance avec la culture que je réalise sans produit chimique et les changements de variété de graines que je plante avec… Lire la suite »